LA MAIN NOIRE

 

« La Main Noire », fut l’un des premiers groupes de résistance actif en Alsace dès septembre 1940. Il fut fondé par Marcel Weinum (1924-1942) qui fut son chef. Calme et réfléchi, le jeune homme s’avérera un excellent organisateur. Il devra interrompre ses études de dessinateur pour avoir refusé d’adhérer à une filière du parti nazi, mais cela lui donnera davantage de disponibilité pour se consacrer à ses activités clandestines.

Le groupe a la particularité d’être composé d’une trentaine d’adolescents qui agirent sans le soutien d’aucun adulte. Le but de « La Main Noire » fut de combattre activement la mainmise nazie sur l’Alsace ainsi que son assimilation au IIIème Reich par la redoutable politique de germanisation à outrance naguère en vigueur dans cette région annexée.

La raison de l’engagement des jeunes résistants fut leur attachement pour la France et ses valeurs républicaines alors bafouées, mais aussi une foi profonde en Dieu. La plupart d’entre eux se sont rencontrés à l’église de Brumath, ville dont est originaire Marcel Weinum, ou à la maîtrise de la cathédrale de Strasbourg.

Ils sont apprentis ou encore étudiants et sont tous issus de familles ouvrières modestes. Les membres du groupe n’appartenaient pas par conséquent à une sphère  très cultivée. La plupart agissent à l’insu de leurs parents qui ignoraient tout de leur activité clandestine.

Marcel Weinum structura son organisation en petits groupes indépendants opérant essentiellement dans Strasbourg. Cette solution était sensée rendre le groupe moins vulnérable dans le cas où des membres viendraient à être arrêtés.

Les actions menées par les jeunes résistants alsaciens étaient assez diversifiées : contre-propagande, pillage d’automobiles allemandes et de sièges d’organismes du parti nazi, sabotage de moyens de communication et de transport, attentats ainsi que renseignements.

Le fait le plus marquant commis par le groupe fut l’attentat perpétré contre le Gauleiter Robert Wagner à Strasbourg le 08/05/1941. Le plus haut dignitaire nazi en Alsace fut indemne, mais cela signifia pour lui un sérieux avertissement.

« La Main Noire » entretenait un contact avec le consulat britannique à Bâle en Suisse en vue de bénéficier de soutiens financiers afin de mener à bien son action. De même, le groupe recevait des directives pour les sabotages à effectuer ainsi que les activités de renseignements ou de recherches.

Le 19/05/1941, Marcel Weinum et un autre membre de « La Main Noire », Ceslav Sieradski, tentent un nouveau passage de la frontière Suisse pour rejoindre « Léo », un agent de l’IS (Intelligence Service), afin de lui remettre des plans du terrain d’aviation d’Entzheim et d’Haguenau. Interpelés par un douanier, ils parviennent dans un premier temps à le neutraliser puis à lui échapper. Mais ils seront arrêtés un peu plus tard ce même jour.

Si Weinum et Sieradski parviennent à se débarrasser des plans trop compromettants, ils sont incarcérés à la prison de Mulhouse et interrogés par la Gestapo. Les deux adolescents ne dévoilent rien de l’organisation et résistent aux interrogatoires. Mais un détenu espion, placé dans la cellule de Ceslav Sieradski, permettra de démanteler au bout de plusieurs semaines l’organisation.

Les jeunes résistants sont incarcérés à la prison de Mulhouse, puis à la prison Sainte Marguerite de Strasbourg, avant d’être transférés pour certains d’entre eux à la prison de Kehl. Puis, quelques membres du groupe seront internés au camp de rééducation de Schirmeck en attente du procès de l’organisation.

Les dirigeants nazis souhaitaient faire de ce procès un exemple, afin de prouver toute l’efficacité de la nouvelle justice qui fut instaurée en Alsace sur la base du code pénal national socialiste allemand depuis le 20/01/1942.

Le procès se déroula du 27/03/1942 au 31/03/1942 sous la présidence du redoutable juge nazi, le Président Hüber. Il se solda par la condamnation à mort du chef de « La Main Noire », Marcel Weinum qui sera guillotiné à la prison de Stuttgart le 14/04/1942 à l’âge de 18 ans…

Son ami et accompagnateur d’origine polonaise, âgé de 16 ans, Ceslav Sieradski, sera fusillé le 12/12/1941, près du camp de rééducation de Schirmeck. Ce traitement est dû à la haine raciale que nourrissaient les nazis à l’égard des Slaves, considérés comme des sous-hommes (Untermenschen).

Dans un communiqué officiel du Reichsführer SS, chef de la police du camp de Schirmeck, annonçant l’exécution de Sieradski, sera employé pour la première fois en Alsace le terme de « résistance » pour qualifier son action (wegen Widerstandes). 

Les autres membres du groupe seront détenus quelques mois à Schirmeck avant d’être incorporés de force dans l’armée allemande (Wehrmacht ). Quel drame cela a pu être pour eux lorsqu’ils furent contraints d’endosser l’uniforme de la puissance qu’ils ont combattue pour ne pas voir leurs familles victimes de représailles.

Certains d’entre eux laissèrent leur vie sur le front de l’Est. Jean Jacques Bastian y fut grièvement brûlé par un sous officier allemand lors d’une tentative de désertion infructueuse. Il perdra un œil et subira par la suite plus de quarante opérations et greffes au visage et aux mains.

Tous les survivants de « La Main Noire » restèrent profondément marqués par cette obligation terrible qui leur fut faite de servir une idéologie qu’ils détestaient en étant jetés dans la géhenne guerrière.

Quatre de ces anciens adolescents résistants sont toujours en vie actuellement : Lucien Entzmann 85 ans, Jean Jacques Bastian 86 ans, Jean Kuntz 86 ans et Jean Voirol 84 ans.

Si quelques plaques aux noms des jeunes résistants de « La Main Noire » relatent aujourd’hui en Alsace leur souvenir et leur engagement, il semble que cette tragique et héroïque croisade des adolescents contre Hitler à Strasbourg il y a près de 70 ans, soit tombée dans un oubli relatif.

Pourtant, il s’agit d’un fait unique et mémorable au même titre que l’engagement risqué d’autres jeunes gens, tels Hans et Sophie Scholl du groupe de résistance allemand de « La Rose Blanche », ou encore le sacrifice de Guy Môquet, jeune militant communiste fusillé à Châteaubriand le 22/10/1941.

Marcel Weinum et ses camarades méritent également une grande considération pour leur initiative d’avoir lutté contre le nazisme dans une région annexée, qui fut donc soumise à une surveillance extrême et implacable de la part de l’occupant.

 

Quelques noms de membres de « La Main Noire » : 

        *       Marcel Weinum        *       Lucien Entzman        *       André Kleinman   *       René Spengler   *       Lucien Albrecht   *       Robert Bildstein   *       Aimé Martin
*      
Albert Uhlrich    *       Ceslav Sieradzki    *       Charles Lebold   *       André Mathis   *       René Meyer   *       René Kleinmann    *       Mosser    *       Constantin
*      
Adam   *       Augustin   *       Xavier Nicole   *       André Kleinmann   *       Jean Kuntz  *       Jean Voirol    *       Jean-Jacques Bastian   *       Marcel Keller

          Membres survivants à l’heure actuelle

                                                                                   Par le Passeur de Mémoire
                                                                                                                   
Le 14/08/2010                         

Passionné par l’Histoire de l’Alsace et la période de la Seconde Guerre mondiale dans cette région.

Source : MARCEL WEINUM ET LA MAIN NOIRE, Gérard Pfister, EDITIONS ARFUYEN 2007