A mi-chemin entre Steinbach et Vieux-Thann, s'ouvre une petite vallée
appelée « Bruderthal », au niveau de la « Maison Blanche ». Le fond du
vallon, au canton dit de « Zu Rhein », abrite une clairière, non loin du
monument Anatole Jacquot. C'est là que s'élevait jadis l'ermitage de
Sainte-Marie-Madeleine.
Si nous ne possédons pas de description précise de la chapelle, maints
documents attestent cependant son existence, depuis le Moyen Age. Elle
figure dans le Liber Marcarum en 1344 et 1441. Une charte de Sigismund,
duc d'Autriche témoigne de son existence en 1477. Un urbaire de Cernay
daté de 1580 parle du « Bruderweg ». Enfin la petite chapelle figure sur
la célèbre carte de Cassini de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Un plan dressé à l'occasion d'un différend qui opposait l'ermite à la
commune de Steinbach en 1750, dont nous reparlerons, nous donne un
croquis sommaire de l'Ermitage. Ce plan est conservé aux Archives
communales de la ville de Cernay, déposées aux Archives départementales
à Colmar.
Son enclos a la forme d'un rectangle, beaucoup plus long que large,
entouré d'un fossé rempli d'eau. La partie centrale est occupée par une
cour dans laquelle se dresse une croix. Bordant la cour, s'élève une
chapelle surmontée d'un clocheton et une maisonnette y
attenant. Derrière les bâtiments se trouve le potager divisé en six
parcelles. De l'autre côté de la cour, s'étend le verger protégé par des
murs.
Deux chemins permettaient d'atteindre l'ermitage : l'un venait de
Steinbach, l'autre de Thann. Ils traversaient, tous deux les bois
communaux de Steinbach qui enserrent de tous côtés ce petit havre de
piété.
Depuis les temps les plus reculés vivait là un ermite, se nourrissant
des légumes de son jardin et des jambonneaux que lui amenaient les
fidèles. Il élevait aussi des abeilles qui butinaient les belles fleurs
de son jardin. Les villageois de Cernay et de Steinbach venaient
lui rendre visite pour prier avec lui mais aussi pour se faire soigner.
L'ermite savait cueillir les plantes médicinales qui poussent alentour,
notamment à l'AmseIkopf. Un sentier qu' empruntait fréquemment le
dernier ermite a conservé son nom, l'Andrespfad. Seuls les échos de la
chasse aux cerfs et aux sangliers venaient troubler la quiétude de ce
lieu. Un drame endeuilla aussi ses murs. Un des ermites fut sauvagement
attaqué. Il agonisa dans les bras d'un bucheron alerté par ses cris,
mais il ne révéla pas le nom de son agresseur.
L'histoire n'a pas su conserver le nom de tous ces hommes solitaires qui
vécurent là. Nous ne connaissons que le nom des trois derniers: frère
Joseph, Johann Bressler qui s'y installa vers 1707 et le frère André.
En 1750 s'engage un long conflit entre Johann Bressler et la commune de
Steinbach et de Cernay. L'ermite demande au bailli Deville, en avril
1750, de délimiter avec précision ses terres. Il se plaint qu'on lui a
enlevé une parcelle sur laquelle son prédécesseur, le frère Joseph,
avait planté des cerisiers. Il trouve que les bergers de Steinbach font
paître leurs moutons bien trop près de la chapelle.
Après trois mois de tergiversations, l'arpentage est effectué. Le
terrain aborné occupe une surface de 4 arpents et 13 perches. Le
magistrat de Cernay est nommé administrateur des revenus de la chapelle
et contrairement à ce que souhaitait l'ermite, on n'interdit pas la
circulation des gens et des bêtes sur le chemin longeant l'ermitage.
Cette décision ne satisfaisait ni l'ermite ni la communauté de Steinbach
jusqu'ici responsable de l'ermitage. Le 16 juin 1751, le frère Johann
porte à nouveau plainte : les juges ruraux Theobald Bechelen et Theobald
Luttenauer ont autorisé les bergers de Steinbach à laisser paître sur le
terrain de l'ermitage. Le bailli condamne les deux juges ruraux à près
de 30 livres d'amende, qu'ils refusèrent de payer ! Par le truchement du
maire de Steinbach, ils firent appel auprès de l'Intendant à Strasbourg
sous prétexte que l'ermite s'était approprié deux arpents de terre
diminuant ainsi la surface de pâture de Steinbach et empêchant le
passage des voitures et des bêtes. L'Intendant refusa de prendre
position et renvoya l'affaire à un tribunal ordinaire où les deux juges
furent à nouveau condamnés.
Mais ce deuxième jugement ne suffît pas à clore l'affaire. Bechelen et
Luttenauer n'acceptaient toujours pas le verdict et l'ermite aurait aimé
plus de garantie quant au respect de son domaine. Pour parvenir à ses
fins, il traite avec l'hôpital de Cernay. Il y fait
une fondation de 240 livres dont les intérêts devaient suffire à payer
chaque trimestre une messe avec Libéra dans sa chapelle. Le terrain de
l'ermitage serait loué par l'administrateur de l'hôpital, à l'exception
de deux petits jardins, au profit de l'entretien de la chapelle et de
l'achat d'ornements. Une fois de plus la communauté de Steinbach refuse
cet arrangement et se propose de prendre sous sa protection, aux mêmes
conditions que l'hôpital, le petit enclos. Il ne semble pas qu'on ait
trouvé un accord.
Le 28 juillet 1752 les habitants de Steinbach portent plainte contre le
magistrat de Cernay
et
M. Herrissé pour avoir, en tant qu'administrateur de l'hôpital,
accepté la fondation de l'ermite sans en aviser le maire de Steinbach.
Le terrain aurait dû être adjugé
pour trois ans et son revenu déposé dans la caisse municipale d'où
Steinbach aurait pu prélever le tiers qui lui revenait de tout temps. Il
semble que cette solution fut finalement adoptée.
Le 27 septembre 1752, le Conseil souverain d'Alsace annule tous les
jugements précédents, fait arracher les pierres bornes, afin de
permettre la pâture des bêtes et le transport du bois. Bechelen et
Luttenauer sont lavés de tout soupçon et l'ermite condamné à
payer les frais de procédure !
Le dernier ermite de Sainte-Marie-Madeleine se prénommait André. Il dut
quitter l'ermitage pendant la Révolution. Le 15 octobre 1793 il
s'installe à Steinbach où il meurt peu après. Par autorisation du
département, le maire de Cernay procéda à la vente de la
chapelle et de la maisonnette le 22 mai 1794. L'ensemble fut adjugé pour
215 livres à Thiébaut Macker avec autorisation de démolition.
Une carte forestière de 1878 marquait encore l'emplacement de ces
ruines. Peu après la seconde guerre mondiale on pouvait encore
distinguer sur place, dans un fouillis de ronces, une petite éminence
recouverte de lierre dissimulant des tuiles cassées et des
briques...Maintenant la nature a totalement effacé les traces de
l'ermitage de Sainte-Marie-Madeleine et seuls les noms de
« Bruderthal » et de « Andrespfad » rappellent encore son existence.
Gabrielle Claerr-Stamm in Regards sur l'Histoire de Cernay
SOURCES
« Als das Glöcklein des Eremiten im Bruderthal ertönte » de J. BAUMANN,
dans Mülhauser Tagblatt, 9.8.1942.
A. INGOLD dans les Feuilles d'Annonces et Avis divers de Thann et
Cernay, 6.10.1850.
Archives communales de la ville de Cernay, FF 14.
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