L'ENFER DE STEINBACH
Décembre 1914 - Janvier 1915
 

(Article paru dans le Bulletin Municipal 2007)

 

Dans son édition du 8 mai 1915, le Monde Illustré citait la prise de Steinbach et la conquête du "Vieil Armand" comme " 2 brillants faits d'armes de notre Armée d'Alsace (...) qui ont particulièrement attiré l'attention ces derniers temps". Des millions de Français découvraient alors le nom d'un petit village alsacien, Steinbach, et "ce nom doit rester dans l'histoire comme les noms fameux qui illustrent les batailles du Nord, de la Somme ou de l'Artois" (1)

DÉBUT DEC. 14

Le Général Joffre a décidé de déclencher une offensive en Alsace du Sud, dans le but de reconquérir Mulhouse et de sécuriser les axes de communication Thann - Belfort et Colmar-Mulhouse.
Dans ce but, il a créé le Groupement des Vosges, sous les ordres du Général Putz. L'objectif de la 66e division d'infanterie française, commandée par le général Guerrier, est de conquérir la Cote 425 et le plateau d'Uffholtz, tous deux tenus par les Allemands, avant de s'emparer de Cernay. Or le commandement français ignore que, depuis quelques jours, un régiment wurtembergeois, le L.I.R.119, est solidement installé dans Steinbach, « un charmant village alsacien, sur les dernières pentes des Vosges, dans la riante vallée du Silberthal » (2). « On croyait que Steinbach n'était pas défendu. Il l'était formidablement » (3).

13/12/14
A midi, l'artillerie française du 213° RI (Régiment d'Infanterie) ouvre le feu sur la croupe 425 et l'enlève tandis qu'un détachement du 5e BCP (Bataillon de Chasseurs à pied) s'empare du village.
« Le fait est qu'ils (les Allemands) n'avaient pas imaginé que nous arriverions par la montagne et ils furent pris tout à fait par surprise »(4).

14/12/14
Contre-attaque des Allemands qui, supérieurs en nombre et en moyens, (des renforts sont arrivés en toute hâte) reprennent Steinbach et renforcent leurs positions, entourant le village de réseaux de fer barbelé, d'abatis, de tranchées et de barricades constituées de tonneaux. Les Français se replient vers Thann. La population de Steinbach se réfugie dans les caves ou fuit.

25/12/14
Sans prendre de repos, le 152° RI (appelé «le quinze-deux» à la 66° Dl), qui vient d'enlever le Spitzemberg après des combats meurtriers, arrive en renfort.
L'attaque française est déclenchée : le 213° RI part à l'assaut de la Cote 425. L'assaut échoue. Six compagnies du 152° RI ont pour objectif le plateau d'Uffholtz en débordant Steinbach par le nord tandis que 2 compagnies du 1° Bataillon, sous les ordres du commandant Castella, doivent attaquer Steinbach par le sud en passant par l'Amselkopf. Lorsque les 2 compagnies débouchent du bois du Hirnelestein, en direction de Steinbach, elles sont clouées sur place par de violents tirs de mitrailleuses en provenance de la Côte 425 et du village, subissent des pertes importantes et, à la nuit tombante, se retranchent sur leurs positions.

«L'attaque prévue ne devait durer que quelques heures. Au lieu de cela, ce furent 15 terribles journées de combat sans répit, en plein hiver, sous la neige et dans des tranchées envahies par l'eau glacée,15 journées et 15 nuits de corps à corps » (2).

26/12/14

Echec des attaques du 213° RI devant la Cote 425. Le 152° RI se met à l'abri des tirs allemands en ' s'enfouissant ' dans des tranchées aux lisières du village. En fin de journée, la Cote 425 est toujours aux mains des Allemands.

 27/12/14
II neige et il fait très froid. Dès 8h, le 152° RI bombarde les premières maisons du village. L'artilleur Yvan Rolin est amené à pointer ses pièces sur son village (dont il sera plus tard maire), sa maison et l'usine paternelle. Des tirs intenses d'obus démolissent les habitations et déclenchent de nombreux incendies. La 1ère et la 3e sections s'élancent baïonnette au canon, vers le village, mais l'assaut est brisé par une fusillade très violente en provenance des soupiraux des caves et des toits des maisons (pourtant détruites), par un réseau de barbelés et par un grand grillage vertical de fil de fer d'acier infranchissable. Les pertes sont considérables dans les rangs français. L'échec de cette attaque démontre que Steinbach « sera extrêmement dur à enlever et coûtera beaucoup de monde » car « le village représente une position extrêmement forte. » (5). « Les combats dans le secteur de la Cote 425 sont d'une violence inouïe » (6). Ces jours de lutte féroce dans la pluie, la boue, la neige et le froid resteront dans la mémoire des survivants comme " l'Enfer de Steinbach". « Ils revoient les tranchées à demi effondrées où ils restèrent stoïques, dans l'eau jusqu'aux genoux, au milieu des glaçons ; ils revoient les longues nuits d'hiver où la neige ensevelissait les guetteurs aux créneaux (...) la lutte contre le froid qui les terrassait lentement (...). Les évacuations pour pieds gelés sont très nombreuses » (2).

28/12/14
Le 152° RI consolide ses positions devant Steinbach et investit les maisons aux périphéries nord et sud du village tandis que le 213° RI échoue à s'emparer de la Cote 425. Les pertes sont terribles.

 29/12/14
« La bataille se poursuit, toujours sans résultat (...) Il faut soit s'emparer du village soit le détruire (....). Notre artillerie bombarde le village avec fureur. Il brûle en plusieurs endroits. Le clocher a été éventré et c'est fort heureux car l'ennemi ne peut plus s'en servir pour observer et y installer des mitrailleuses » (7).

30/12/14
Des corps à corps féroces s'engagent à travers les réseaux de barbelés et les décombres des maisons. Au prix de luttes farouches, la 7e compagnie (sous les ordres du capitaine Marchand) poursuit sa progression dans la Grand' Rue, avançant lentement, maison par maison. « Le combat est tel qu'il est impossible de se rendre compte de ce qui se passe quelques mètres plus loin. Le champ de bataille se trouve limité pour chaque soldat à une maison, à une cour, parfois à une chambre » (8).
La population civile est évacuée par les Allemands. « Elle est dirigée sur Wittelsheim où elle trouve bon accueil »(6). L'exode de cette population dans la nuit glacée de décembre, la fuite des femmes, des enfants, des vieillards au milieu des balles et des incendies, abandonnant leurs foyers détruits, fut une chose affreuse » (9).
Plusieurs civils furent tués ; leurs noms figurent sur une plaque du Monument aux Morts.

 31/12/14
Les Français poursuivent leur progression et, « à la tombée de la nuit, un tiers du village se trouve aux mains du 152e » (6). « Le parlementaire envoyé par notre état-major rentrait 1 heure plus tard dans nos lignes avec la réponse allemande, à savoir que le commandant en chef des forces adverses ne se considérait nullement comme cerné (....) et qu'en tout cas les troupes de l'empereur se font tuer mais ne se rendent pas » (8).

01/01/15
L'ennemi constitue une nouvelle ligne de défense à l'intérieur du village. « Le dernier acte du terrible drame se prépare » (6).

03/01/15
Après une violente préparation d'artillerie, l'attaque est déclenchée vers 13 heures. Les 1ere et 2e compagnies se lancent à l'attaque et enlèvent à la baïonnette la tranchée dite en V, au prix de lourdes pertes. Le 213° RI s'empare de la Cote 425. La 12° compagnie, menée par le capitaine Toussaint, a pour mission de prendre le centre du village et le cimetière. La progression est lente. Dans le village à moitié démoli et qui flambe, fusillades et cris retentissent.
« Spectacle complet de la bataille en ce point (l'observatoire du Schletzenburg) sous un marmitage intense. Vue sur Steinbach à moitié démoli et en feu (...) Derrière nous, des tombes toutes préparées avec croix et couronnes de feuillages, les blessés qui passent sur des civières et les morts que l'on aligne, de très jeunes prisonniers qui montent» (10).
Pris en tenaille, les Allemands se replient mais, pendant la nuit, le commandement allemand déclenche un violent bombardement et lance une contre-attaque, en partie repoussée. Quelques groupes de soldats allemands parviennent à s'infiltrer et à atteindre l'église et le cimetière où ils se retranchent. Ils sont refoulés par une charge à la baïonnette. Les hommes du 152° RI fouillent les maisons et font un assez grand nombre de prisonniers. Au petit matin, Steinbach est définitivement aux mains du 152° RI mais les pertes sont énormes. « Steinbach est virtuellement pris mais, pour ce résultat, il a fallu détruire le village, maison par maison, à coup d'obus (...). Les rues et les abords du village sont semés de cadavres. C'est horrible à voir » (7).

 04/01/15
| Contre-attaque allemande, intense mais infructueuse.
| « On prend toute la tranchée boche (...) J'entre dans leurs abris. Une bougie brûle encore (...) Nous sommes surpris de voir comme c'est bien installé. C'est recouvert de tôles ondulées très fortes. (...) L'attaque tourbillonne et s'effondre. Pour nous, c'est gagné. » ( 10). Après 15 jours et 15 nuits de combat, Steinbach est définitivement aux mains du 152° RI.

05/01/15
Bombardements 'effrayants' toute la journée, sans interruption.
«Tout le village de Steinbach flambe (...). Quand le soir arrive, nous sommes complètement hébétés. Nous sommes dans la boue jusqu'aux genoux. Nous sommes trempés et, naturellement, nous n'avons rien mangé » (10). Cependant, « Le moral des troupes est prodigieux car, indépendamment de ces journées de combats incessants, elles ont supporté avec la plus grande vaillance les intempéries et le séjour dans des tranchées remplies de boue, les évacués ne quittant la ligne qu'avec des pieds ou des mains gelés » (5) « Sur la pente, dans les vignes, c'est plein de cadavres boches. Dans les rues, c'est un
spectacle fantastique : des maisons en feu partout, tous les murs qui subsistent sont flamboyants, le bombardement a cessé. Comme bruit, on n'entend que le crépitement des flammes, le craquement des poutres et les effondrements de pans de murs et de toits. Cela vous brûle les joues. A tout instant, on butte dans un cadavre. L'air est empli d'une odeur repoussante de cuir et de bétail brûlé. Un pauvre chien se promène au milieu des ruines, s'arrête et gémit en regardant
les incendies. Un bœuf aussi erre dans les rues. comme une âme en peine, et au milieu de cela, la fontaine coule joyeusement comme si de rien n'était » (10).

« La prise de Steinbach défraya la chronique; la presse française et les communiqués officiels firent de ce haut fait d'armes un symbole du retour de l'Alsace à la Mère Patrie. Mais cette conquête destructrice et coûteuse en vies ne fit reculer les Allemands que de quelques centaines de mètres » (11).

D'après un rapport du service de santé, entre le 25 décembre 1914 et le 10 janvier 1915, les combats firent 415 tués et 876 blessés parmi les 152e, 213e et 359e Régiments d'Infanterie les 28e et 68e BCA , le 15e BCP et le 56e RA.-.sans compter les disparus et les prisonniers...

10/01/15
« Nous sommes maintenant dans Steinbach où plus aucune maison n'est debout (...). Ce village, qui devait être charmant, a été frappé à mort. Quand renaîtra-t-il de ses cendres ? » (12).
 
 Ml  JANVIER

« Si les boches se sont résignés à la perte de Steinbach, ils ne restent cependant pas inactifs ; leur artillerie nous marmite journellement avec plus ou moins de violence et nous cause souvent des pertes. (...) Nous sommes au cœur de l'hiver; le froid et le mauvais temps, la boue des tranchées (...) rendent notre existence misérable » (12).

18/01/15
« Tout le secteur environnant Steinbach est maintenant hideux. La ville est déserte et complètement en ruines. Les champs et les vignobles alentour sont parsemés de cratères creusés par les obus. Dans les vergers, les arbres sont couverts d'une épaisse couche de terre rougeâtre. Face aux tranchées, devant les enchevêtrements de barbelés, s'offrent d'horribles visions. Si quelque chose sur terre peut donner une bonne idée de l'Enfer, c'est assurément l'espace compris entre Steinbach et Uffholtz. Si cette guerre européenne n'est pas la dernière, c'est que nous, Européens, sommes tous devenus fous à lier » (4).

25/01/15
A la suite des combats livrés du 25 décembre 1914 au 10 janvier 1915 pour la prise de Steinbach et par Ordre Général n° 4, le 152° Régiment d'Infanterie est cité à l'ordre de l'Armée : « A, sous les ordres du chef de Bataillon Jacquemot, fait preuve d'une vaillance et d'une endurance au dessus de tout éloge en conquérant le village de Steinbach après 8 jours de lutte héroïque , de jour comme de nuit, s'emparant une par une des maisons fortifiées, répétant les assauts au milieu des incendies, se maintenant sous un feu des plus violents dans les tranchées remplies d'eau glacée, infligeant à l'ennemi de lourdes pertes et lui enlevant une mitrailleuse et de nombreux prisonniers » (13).
Grâce à 2 autres citations pour ses victoires au Spitzemberg et au Hartmannswillerkopf, le 152° RI est « le 1er régiment qui
mérite la fourragère » (14).

 25/02/15
Les derniers hommes du 152° RI quittent le secteur de Steinbach

 06/11/21
Steinbach reçoit la croix de guerre 1914-1918 avec palme.
Citation : Steinbach, département du Haut-Rhin, « Située dans la zone de bataille, a été en grande partie détruite. Par ses deuils et par la belle attitude qu'elle a montrée dans les plus cruelles épreuves, a bien mérité du pays. »
 

Le deuxième couplet du nouveau chant du 152° RI rappelle ces brillants faits d'armes :

Soldat, ne te souvient-il pas
Que déjà sa gloire est ancienne ?
La vieille terre alsacienne
A frémi sous ses premiers pas !
Steinbach a vu sa noble rage
Le Spitzemberg son dévouement
Et les rochers du Vieil Armand
Se souviendront de son courage....
 


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