Les manuscrits de la mer Morte


Il y a soixante ans, la découverte des manuscrits de la mer Morte, dans les grottes de Qumrân, a révolutionné la compréhension du judaïsme à l’époque de Jésus et a permis de se faire une meilleure idée de la Bible

Qu’est-ce que Qumrân ?

En 1947, dans une grotte près de Khirbet-Qumrân ( «la ruine de Qumrân », en arabe), de jeunes bédouins découvrent des jarres contenant des manuscrits anciens. Un marchand de Bethléem à qui ils confient ces manuscrits, pressentant la valeur de cette découverte, démarche un certain nombre de spécialistes qui comprennent vite l’antiquité de ces manuscrits. Dès 1949, le dominicain Roland de Vaux, directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ébaf), entreprend des fouilles dans la grotte où furent trouvés les premiers manuscrits puis, à partir de 1951, sur le site même de Khirbet-Qumrân. Sur les traces d’un premier établissement de l’âge du fer (VIIIe siècle avant J.-C.), les archéologues de l’Ébaf mettent au jour un vaste ensemble de type communautaire proche, malgré l’anachronisme, du cénobitisme chrétien primitif. Les archéologues soulignent en effet que des esséniens vivaient en groupes organisés autour d’un complexe où était centralisée la vie rituelle et intellectuelle. Rapidement, le site de Qumrân sera identifié à celui décrit par des chroniqueurs de l’époque – Pline, Philon d’Alexandrie ou Flavius Josèphe – comme un lieu de résidence essénien.

Qui sont les esséniens ?

Les premières traces d’installation d’une communauté à Qumrân remonteraient au milieu du II
e siècle av. J.-C. C’est l’époque où le stratège Jonathan Maccabée se fait nommer grand-prêtre du Temple de Jérusalem par le roi de Syrie Alexandre Balas. Il aurait ainsi écarté le grand-prêtre légitime (de la branche de Sadoq, grand­prêtre du temps de Salomon), qui se serait alors retiré au désert avec ses fidèles. C’est le « Maître de Justice » dont parlent les écrits de Qumrân, opposé aux « Prêtres impies » (Jonathan et ses successeurs). Ce « Maître de Justice » serait mort vers 110 av. J.-C. Après une courte période d’abandon vers 30 av. J.-C., sa communauté, les « Fils de lumière », a perduré sur place jusqu’en 68 ap. J.-C., date de la destruction du site par les Romains lors de la première révolte juive.
Les esséniens ( esseni en latin, essênoi en grec, mot qui dérive de l’araméen hasa signifiant pieux) vivaient la loi juive de façon stricte. Le nombre des bains rituels ( mi­qva’ot ), parmi les plus grands de cette époque en Israël, souligne le souci extrême de respect des règles de pureté rituelle auxquels ils s’astreignaient. Coupés du culte sacrificiel du Temple de Jérusalem, un lieu qu’ils jugeaient profané et souillé par le changement du grand prêtre légitime et l’usage d’un autre calendrier, les esséniens avaient substitué au culte sacrificiel un culte plus spirituel : «l’offrande des lèvres» présentée par un « temple d’hommes », édifice spirituel palliant la perte provisoire du temple de pierre. Dans leur refus du rituel jugé impie du Temple de Jérusalem, les esséniens avaient opté pour le calendrier solaire, différent du calendrier luni-solaire suivi par les Maccabées et leurs fidèles, pharisiens et sadducéens, très ouverts aux influences grecques.
Si Qumrân apparaît comme le centre de la communauté, des esséniens vivaient aussi ailleurs, en milieu urbain comme à Jéricho, à Jérusalem – où Flavius Josèphe mentionne une « Porte des esséniens », qui donnait sur un quartier essénien identifié au sud-ouest de la ville actuelle, sur le mont Sion –, mais aussi dans d’autres villes et villages de Judée.

Jésus était-il essénien ?

Comme Ernest Renan, prétendant que «le christianisme est un essénisme qui a largement réussi », nombreux sont ceux qui ont souligné des similitudes entre la pensée chrétienne et ce que l’on connaissait des esséniens. L’étude des textes qumrâniens a permis de mieux connaître ces derniers et leur doctrine. Si l’enseignement de Jésus en est parfois proche, il en diffère néanmoins sur des points essentiels. «Par certains de ses comportements et enseignements, Jésus est proche des esséniens », reconnaît le P. Émile Puech, directeur de La Revue de Qumrân et seul Français de l’actuelle équipe internationale des éditeurs des manuscrits, qui souligne aussi des divergences notables. Ainsi, s’il demeure critique sur les dérives mercantiles qu’il y constate, Jésus ne dédaigne pas le Temple où lui-même enseigne.
Son enseignement est beaucoup plus souple, ne serait-ce qu’au sujet de l’amour du prochain ou du respect du sabbat, où il est même encore plus ouvert que les pharisiens.
Comment comprendre, alors, les similitudes qui peuvent exister entre le message évangélique et la doctrine essénienne ? « Il ne serait pas surprenant que des esséniens aient finalement reconnu en Jésus le Messie tant attendu et que nombre d’entre eux soient entrés dans la communauté de ses disciples, note Émile Puech. Cela expliquerait bien des passages des
Actes des Apôtres, de l’ Épître aux Hébreux, et nombre de rapprochements : la mise en commun des biens, le temple d’hommes, le titre de « Fils de lumière » passé aux chrétiens, sans oublier l’importance du Cénacle (le quartier essénien à Jérusalem), lieu du repas d’adieu de Jésus et des débuts de l’Église dans la tradition chrétienne. »

                                                                                                                                  Nicolas SENÈZE

Les manuscrits
Entre 1947 et 1956, des dizaines de milliers de fragments représentant les restes de 800 à 900 manuscrits ont été trouvés autour du site de Qumrân. La plupart de ces documents, qui s’étalent entre le IIIe siècle av. J.-C. et le milieu du Ier siècle apr. J.-C., ont déjà été publiés. Les derniers documents devraient l’être bientôt. Plus de 200 de ces rouleaux correspondent à des livres de la Bible (tous y sont représentés, à l’exception d’Esther) ; les autres se répartissent entre des textes apocryphes, d’une part, et d’autre part des écrits propres à Qumrân dont la composition s’étend sur à peine un siècle (entre 150 et 50 av. J.-C.).
Ces découvertes ont permis de se faire une meilleure idée de la Bible. Ainsi l’Épître de Jude mentionne-t-elle un livre du patriarche Hénoch, non retenu dans la Bible hébraïque mais dont plusieurs copies ont été trouvées à Qumrân. Plus largement, les manuscrits de Qumrân témoignent que la Bible n’a pas été uniforme, mais que plusieurs recensions en ont existé avant d’en arriver au texte hébreu actuel. Surtout, elles soulignent l’extraordinaire diversité du judaïsme à l’époque de Jésus.

La Cène

L’apparente contradiction entre l’Évangile de Jean et les Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) quant à la date de la dernière Cène a parfois été expliquée par le fait que Jésus aurait célébré son repas d’adieu à l’écart, dans le quartier essénien et le cadre pascal du calendrier essénien, la nuit du mardi au mercredi. Ainsi s’expliquerait le caractère pascal de la Cène, sans agneau pascal, selon les Évangiles synoptiques, comme c’était le cas chez les esséniens. Mais il semble toutefois que Jésus suivait le calendrier luni-solaire en vigueur au Temple : son dernier repas, dans ce cas, n’a pu être le repas de la Pâque juive, qui tombait cette année-là le vendredi soir, après sa crucifixion et son ensevelissement, comme le rappellent tous les récits évangéliques de la passion. L’existence de deux calendriers différents, révélée par les manuscrits, peut permettre de résoudre cette apparente contradiction relevée depuis longtemps.

À lire

> Les manuscrits de la mer Morte, de Farah Mébarki et Émile Puech (Éditions du Rouergue, 240 p., 39 €).
> Les Manuscrits de la mer Morte, d’André Paul (Bayard, 331 p., 21,04 €).
> La Bible avant la Bible, d’André Paul (Cerf, 266 p., 28 €).

 

            Site du journal de la Croix                                               La Croix du 5 mai 2007