La diplomatie vaticane

 

Au service de l’Église catholique, un vaste dispositif de représentations pontificales veille à la situation publique des communautés à travers le monde et entretient les liens entre le Saint-Siège et les Églises locales.


L
e pape, combien de divisions ? Il est plaisant de rappeler aujourd’hui la formule de Staline, alors que l’Union soviétique et son régime communiste appartiennent au passé et que le Saint-Siège, lui, est toujours là… Pour autant, beaucoup de fantasmes entourent la diplomatie vaticane, parfois qualifiée un peu rapidement comme étant « la plus puissante du monde » . Certains voudraient y voir la possibilité d’une influence souterraine, capable de renverser des gouvernements ou de fomenter des complots. C’est oublier l’essentiel: la diplomatie vaticane est d’abord au service de l’Église, et son objet est de veiller à la fois à la situation politique des communautés catholiques d’un pays et aux liens entre les Églises locales et le siège de Pierre.

Pourquoi une diplomatie de l’Église ?

La tradition est ancienne. Dès l’Antiquité, le pape s’est fait représenter dans des conciles par des légats, choisis au sein du clergé romain. À partir du
XI° siècle, ces légations furent confiées à des cardinaux, et on appela « nonces » (du latin nuntius , « envoyé ») les prélats auxquels était confiée la négociation d’affaires de caractère particulier. Longtemps, cette diplomatie fut dictée par les intérêts directs des États pontificaux, bien que des papes soient intervenus aussi en faveur de la paix commune: Léon le Grand, au V° siècle, arrêtant Attila, ou Pie VI, en 1782, face à l’empereur Joseph II… Mais en 1929, les accords du Latran entérinent la fin des États pontificaux, faisant de la minuscule Cité du Vatican un «État support» , assise territoriale à la souveraineté internationale du Saint-Siège. De quoi maintenir une présence au nom de l’Église catholique dans la communauté des nations.
Paradoxalement, c’est à partir de cette «minuscule et quasi symbolique souveraineté temporelle» (Paul VI) que va se déployer une diplomatie audacieuse, fondée sur le respect des droits de l’homme et de la personne humaine. La paix, en particulier, constitue l’un des axes forts, que Jean XXIII a explicité dans son encyclique Pacem in terris . La diplomatie du pape est ainsi passée, en un siècle, d’une situation de marginalisation à une position d’universalité.

Comment s’exerce-t-elle ?

D’abord à travers les nonces, représentants du pape dans les pays avec lesquels le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques. Leur fonction a été redéfinie par Paul VI. Le nonce n’est pas un technocrate: il est envoyé auprès des communautés chrétiennes pour exercer un ministère pastoral et rendre « plus efficaces les liens d’unité qui existent entre le siège apostolique et les Églises locales » . Il joue ainsi un rôle important pour le choix des futurs évêques. Il doit aussi défendre ces communautés chrétiennes auprès des gouvernements. Il existe une «école des nonces» à Rome,
l’Académie pontificale ecclésiastique. Ensuite, avec les diplomates de tous les pays représentés auprès du Saint-Siège.
Par ailleurs, en tant que sujet de droit international, le Saint-Siège dispose de voix au sein d’institutions comme l’ONU, l’Unesco, l’Organisation internationale du travail, l’OSCE… Au statut de membre d’une organisation internationale, le Saint-Siège préfère généralement celui d’observateur permanent : il n’a alors pas le droit de vote, mais peut assister à toutes les réunions et être invité à prendre la parole. Ce privilège accordé à une instance religieuse de siéger au même titre qu’un État est contesté par certaines organisations non gouvernementales.
Enfin, il ne faudrait pas oublier les voyages du pape, qui sont souvent un outil efficace pour promouvoir les valeurs de l’Église catholique sur un plan international. En outre, une «diplomatie parallèle» est constituée par les communautés religieuses implantées dans le monde entier.

À quoi sert-elle ?

D’abord à entretenir la communication entre les Églises locales et Rome, la périphérie et le centre. Ensuite, à défendre les intérêts des communautés catholiques dans ces pays, surtout là où les catholiques sont minoritaires. Ainsi pour un État musulman comme la Turquie, ou bien un pays comme Israël, où la protection s’étend aussi aux pèlerins. Le Saint-Siège veille ainsi à l’application des accords qu’il a passés avec des États (concordats). Enfin, l’activité diplomatique du Saint-Siège, surtout depuis le pontificat de Jean-Paul II, veut défendre, indépendamment de la religion et de la nationalité, une conception des relations internationales basée sur la paix, la solidarité et les droits de l’homme, mais aussi la dignité humaine et la vie. C’est ainsi que Benoît XVI, comme son prédécesseur, dénonce la course aux armements ou les drames de l’Afrique pour la résolution desquels l’Église catholique pèse de tout son poids. Par rapport à son prédécesseur cependant, Benoît XVI
insiste encore davantage sur les libertés religieuses, donnant un contenu plus visible à la demande de réciprocité dans les relations. Une autre contribution, moins spectaculaire mais importante, se situe au sein des institutions internationales, dans l’élaboration des accords régissant la vie internationale. Par exemple, le Saint-Siège s’efforce de faire changer l’attitude des États-Unis sur l’accord concernant la protection des pays africains producteurs de coton. Ou encore, la diplomatie vaticane a directement inspiré de nombreux articles de la toute récente convention sur les personnes porteuses de handicaps – même si, au final, le Saint-Siège a refusé, en décembre, de signer le texte du fait d’un article ajouté au dernier moment, favorisant le droit à l’avortement des personnes handicapées. Enfin, il arrive que le Saint-Siège soit sollicité pour arbitrer des conflits entre États: il a permis ainsi de résoudre pacifiquement l’affaire du canal de Beagle opposant le Chili et l’Argentine en 1985.

                                                                                                          ISABELLE DE GAULMYN

                                                                                                             La Croix du3/4 mars 2007



Des relations avec 172 pays


Ø Le Saint-Siège exerce son activité diplomatique à travers les relations qu’il entretient avec désormais 172 pays, auxquels il faut ajouter l’Union européenne et l’Ordre souverain militaire de Malte. On peut aussi y adjoindre la Fédération russe et l’OLP, avec lesquels il existe des liens de nature particulière : à Moscou, par exemple, ne réside qu’un « représentant», la pression des autorités orthodoxes semblant avoir empêché l’établissement de pleins rapports.
Ø Ce nombre a quasiment doublé sous le pontificat de Jean-Paul II, puisqu’en 1978, 84 États seulement avaient de telles relations. Sur les 175 pays accrédités, 70 ont un ambassadeur résidant à Rome, les autres étant en général représentés par un diplomate en poste dans d’autres capitales européennes, ou à Genève, auprès des Nations unies : les accords du Latran (1929) stipulent en effet que le Saint-Siège ne doit pas accepter auprès de lui d’ambassadeurs déjà accrédités auprès du gouvernement italien, afin d’éviter toute confusion.
 
Ø Les États qui continuent à refuser des relations diplomatiques avec le Saint-Siège sont au nombre de 18. Parmi eux la Chine, mais aussi des pays musulmans (Arabie saoudite, Afghanistan) ou des régimes totalitaires (Corée du Nord, Vietnam). Certains de ces pays avaient cependant envoyé des délégations pour les funérailles de Jean-Paul II, comme l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Malaisie, Oman, le Vietnam. Ils étaient aussi représentés lors de la messe d’inauguration du pontificat de Benoît XVI, avec en plus la Somalie et le Brunei. La Chine, en revanche, était absente à ces événements, malgré des négociations discrètes entre l’ambassade chinoise auprès du gouvernement italien et la Secrétairerie d’État au Vatican
 
Ø Certains États ont fait savoir qu’ils étaient intéressés par des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. C’est notamment le cas du Vietnam. Dans ce cadre, la visite au Vatican du premier ministre vietnamien, en janvier dernier, est significative. Des pays comme les Émirats arabes unis ou Oman pourraient faire une démarche semblable. En revanche, l’Arabie saoudite (où le culte catholique est interdit) ou les Maldives (qui refusent aux prêtres l’entrée sur son territoire) restent fermés à toute discussion.
 
Ø Le secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les États est actuellement un Français, Mgr Dominique Mamberti, 55 ans, nommé en septembre dernier par Benoît XVI.
 

           Article paru dans la Croix des 3/4 mars 2007