La Cote 425, vue de l'Amselkopf

Ecrit par le Lieutenant H. Martin, Lauréat de l'Académie des Jeux Floraux, ce poème a été publié dans le recueil
" Poèmes d'Alsace - Hartmannswillerkopf, Metzeral - 1915".
Février 1915: A mon ami, l'Aspirant JACQUARD, du 8° R.A.P, en souvenir du premier paysage de guerre qu'ensemble nous avons vu.
 

                                                                              
1. On distinguait dans l'oculaire
    Le sol rouge et nu du plateau
    Que l'on avait, avec colère,
    Pris, perdu, repris aussitôt.

    Des arbres aux branches cassées,
    Des trous d'obus sur le sol brun
    Montraient que là s'étaient passées
    Des choses sortant du commun.

    Le plateau, sinistre écumoire,
    Dans ses trous d'obus conservait,
    Disques blancs sur la terre noire,
    La neige qu'ailleurs il buvait.

    Et l'ensemble était si tragique,
    A l'heure où le calme régnait,
    Que le sol morne et volcanique
    De la lune à vous se peignait.

    A droite était la cheminée
    Émergeant de Sandoswiller
    Qu'un 220 avait minée
    Sans jeter les briques en l'air.


           2.


La Thur coulait dans la prairie
Sous les saules, près de Cernay,
Où l'on voyait un incendie
Dont la flamme tourbillonnait.

A gauche, autour d'une chapelle,
Sur la croupe d'Uffholtz, des trous,
Et les lignes où maintes pelles
Travaillaient chez eux et chez nous.

Et plus près, le pauvre village
Que nous tenions depuis deux mois,
Steinbach, montrait le grand ravage
Fait par mille obus dans ses toits.

Plus d'une muraille était noire
Et le clocher portant sa croix,
Aussi percé qu'une écumoire,
Tenait par miracle, je crois.

Sur la croupe, parmi les vignes,
Quelques sombres terrassements
Indiquaient la première ligne
Où s'abritaient les Allemands.

 


           3.


Ils avaient des chevaux de frise
Au milieu de leurs fils de fer.
Plus à droite, une poudre grise
Se profilait sur le ciel clair.

Par quelque explosion puissante
Jetée en l'air sur le talus,
Elle ressemblait, menaçante,
Aux canons braqués sur les buts.

Et sur la pente rapprochée,
A l'abri de ses parapets,
On pouvait voir dans la tranchée
Notre infanterie aux aguets.

Leurs capotes par endroits vertes
Leurs chapes de peaux de mouton
De haut en bas étaient couvertes
D'un rougeâtre et gluant béton.

Car la tranchée était boueuse
A tel point qu'ils devaient laver
Leurs fusils dans l'eau limoneuse
D'un tonneau, pour pouvoir tirer.
 


          4.


Devant la tranchée allemande
Pourrissaient des cadavres gris.
La distance n'était pas grande.
Mais nul ne les avait repris.

Et plus près, avec la lunette,
Lorsque l'on savait les endroits,
On voyait de façon fort nette
Deux Français morts depuis un mois.

L'un d'eux était comme une boule
Au pied d'un petit cerisier
Dont les rameaux s'étaient, en foule,
Cassés sous l'ouragan d'acier.

L'autre était tombé sur la face,
A quelques pas de nos talus;
Certes, on connaissait bien sa place,
Mais l'avoir, on n'y songeait plus.

Ses jambes en V, désunies,
Portaient un pantalon vermeil,
Et ses grandes bottes vernies
Par instants brillaient au soleil.