Les chrétiens d’Occident face au défi des chiffres


Affectée sur un plan comptable, la dynamique chrétienne en Occident dépendra de sa capacité à répondre aux attentes spirituelles de son temps.


C
’est «le» chiffre qui serait le reflet de la crise que traverse l’Église catholique en ses contrées occidentales. La diminution du nombre de prêtres inquiète en effet les fidèles et taraude les évêques: on comptait 41000 prêtres en France en1965,un peu moins de 30000 en 1994, 23000 en 2003…En2014,selon l’estimation faite par La Croix en2004, la France pourrait ne plus compter que 4500 prêtres de moins de 65ans, l’âge d’être en situation de pleine responsabilité pastorale…
Cette diminution affecte l’ensemble de l'Occident. L'Europe et l'Amérique du Nord qui totalisaient 281.000 prêtres en1994, n'en comptaient plus que 158.000 en 2003; signe de ma sécularisation qui affecte les vocations sacerdotales mais aussi la pratique sacramentelle. Rien que sur ces deux continents, le nombre de baptêmes a ainsi chuté de 550.000 entre 1991 et 2003, passant de 3.951.150 à 3.400.080, soit une baisse de près de 12,5%. Même des pays jusqu'ici épargnés, comme la Pologne commencent à être touchés. En Espagne, le nombre de jeunes qui se disent proches de l'Eglise est passé de 36% à 16% entre 1994 et 2004. Déjà, certains annoncent que le Vieux Continent serait le "passé" de l'Eglise, d'autres régions du monde ayant vocation, à une échéance de plus en plus proche, à devenir son avenir.
Pourtant, à regarder de près les chiffres, les autres continents, jugés à priori plus "dynamiques" en termes de vocations, ne sont pas forcément mieux lotis que l'Occident sécularisé. Ainsi, l'Afrique est certes passée de 23 000 à 30500 prêtres entre 1994 et 2003, mais
elle compte pour le moment moitié moins de prêtres que là seule France. L'Amérique latine, où vivent aujourd'hui la moitié des catholiques du monde, compterait 65000 prêtres, soit bien moins que l'Europe. Ainsi, le nombre de catholiques par prêtre demeure encore largement en faveur d'une Europe qui continue de rassembler la moitié des ministres ordonnés du monde : 1386 catholiques par prêtre en Europe (2 027 en France), contre 4700 en Afrique et 7128 en Amérique latine. En Corée du Sud, pays qui connaissait encore une forte croissance en termes de vocations, le nombre d'entrées dans les séminaires commence à diminuer.

«L'Église de France ne va pas si mal que ça», affirmait le cardinal Jean-Pierre Ricard à La Croix le 31 octobre dernier. L'affirmation peut sembler d'un optimisme outrancier à certains qui pointeront du doigt, par exemple, la diminution du nombre de pratiquants. Selon une enquête Ifop pour La Croix parue en août 2006, seuls 4,5 % des Français vont effectivement à la messe une fois par semaine (lire encadré ci-dessous). «En même temps, des chrétiens prennent en charge la vie ecclésiale, des hommes et des femmes redécouvrent le chemin de la foi, bien des fidèles s’investissent dans la vie chrétienne» , relevait l’ancien président de la Conférence des évêques de France.
U n constat que font aussi ceux qui s’intéressent à la sociologie religieuse. Dans leur ingénieux travail Où s ont passés les catholiques? (1), les géographes Colette Muller et Jean-René Bertrand sont allés au-delà de la pratique dominicale, longtemps seul critère de la sociologie religieuse. Prenant en compte les baptêmes, les dons au denier de l’Église, la participation aux mouvements d’Action catholique et aux communautés nouvelles, ou encore la fréquentation des lieux spirituels, ils dessinaient ainsi les contours de nouvelles formes de pratique religieuse. «Nous avons été surpris de la profusion qui se dégage» ,confiait alors Colette Muller à La Croix .
  Cette pratique différente se traduit aussi dans les chiffres: l’enquête Ifop-La Croix déjà citée, qui donnait 4,5% de pratiquants au sens sacramentel du terme, relevait en même temps que 25% des Français se disaient pratiquants. Grand écart? «Aujourd’hui, l’identité catholique ne s’exprime plus seulement par l’assistance dominicale ,expliquait alors Mgr Gérard Defois, évêque de Lille et sociologue de formation. Pour certains, pratiquer, ce sera aller en pèlerinage une fois dans l’année, faire baptiser leur enfant ou célébrer religieusement leur mariage.»  Reste donc à savoir comment «réévangéliser ce besoin de vie spirituelle» ,qui ne s’est jamais autant vu qu’avec l’émotion suscitée par la mort de Jean-Paul I.
Mais l’Église en a-t-elle les moyens? Sans doute, à condition de sortir d’un modèle toujours clérical. À cet égard, l’expérience de l’Église catholique en France n’est pas à négliger. Un seul exemple, le nombre de diacres permanents: 1857 dans l’Hexagone, alors que la Pologne n’en compte que six. Sortir du modèle clérical? C’est aussi le défi des évêques de France, qui réfléchissent depuis plusieurs années, au sein de la Conférence épiscopale, sur le thème «Ministère des prêtres et vie des communautés chrétiennes». «Nous n’appelons pas à perpétuer l’équipement d’une France rurale des années 1930 , soulignait Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, la semaine dernière sur RFI. Jamais, au grand jamais, l’Évangile n’a postulé qu’il y aurait un prêtre pour 200 habitants!»

                                                                                                                                                     
NICOLASSENÈZE

(1)DDB,2002,320 p.,23€.

 

Qui sont les catholiques français?

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Si deux Français sur trois se déclarent catholiques, seuls 25% se disent pratiquants et ils sont 7 % à effectivement être des pratiquants réguliers(au moins une fois par mois) et 4,5 % chaque dimanche (enquête Ifop dans La Croix des 14-15 août 2006).
Si le profil sociologique des Français qui se disent catholiques diffère peu du reste de la société française, les25 %de catholiques à se dire pratiquants se démarquent sensiblement en termes d’âge. Ainsi, 43%  des pratiquants ont plus de 65ans (une classe d’âge qui représente 21 % de la population française).À l’inverse, les 35-49 ans ne représentent que18 % des pratiquants (contre 28 % de l’ensemble de la population ). À noter toutefois que chez les plus jeunes, les 18-24 ans, l’écart devient moindre: ils représentent 7 %  des pratiquants, et forment par ailleurs 11 % de la population.
Les catholiques pratiquants se démarquent aussi du reste de la population en étant très largement des… pratiquantes! Les femmes représentent en effet 60 % des pratiquants, contre 52 % de la population française.

 

 

Un maillage territorial à géographie variable

Fruit de la réorganisation pastorale : entre 1994 et 2003, l’Église catholique a quasiment diminué par deux le nombre de ses paroisses en France. Elle en compte aujourd’hui moins que l’Espagne, pays pourtant moins peuplé. Mais l’Occident reste encore largement organisé sur un modèle de maillage territorial « serré ». Ainsi, la seule France compte plus de paroisses que tout le continent africain et à peine moins que toute l’Asie. L’Europe et l’Amérique du Nord ont cinq fois plus de paroisses que toute l’Amérique latine !
 

Le nombre de prêtres s’effrite

Sauf de rares exceptions comme la Pologne (dont les courbes commencent toutefois à accuser un tassement), le nombre de prêtres est en baisse dans tous les pays occidentaux. Une situation qui ne se retrouve pas sur des continents comme l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine. Attention, toutefois, à ne pas magnifier une situation : ces régions du Sud partent de loin, et bien des diocèses de ces pays comptent moins de prêtres qu’en Occident, pour des espaces largement plus étendus.
 

Des diacres en proportions inégales
Une des grandes intuitions de Vatican II avait été de relancer le diaconat permanent. Des Églises locales ont pleinement joué le jeu : ainsi les États-Unis ou la France.
D’autres Églises occidentales restent marquées par le modèle presbytéral : l’Espagne compte presque sept fois moins de diacres permanents que la France. La Pologne, elle, n’en compte que… six en tout et pour tout ! Au sud, l’Église d’Afrique reste très centrée sur le prêtre, moins présent en Asie – au contraire de l’Amérique latine, où ce dernier joue un rôle décisif dans la vie des communautés.

 

 

                

Les prêtres demeurent mal répartis
L’Occident ressent un manque de prêtres, mais il reste encore dans une situation très favorable. La France, même en queue de peloton (avec 2 027 catholiques par prêtre contre 1 415 aux États-Unis), demeure largement devant l’Amérique latine (7 128) ou l’Afrique. « Nous avons toujours comme référence le début du XX
e
siècle, rare moment de l’histoire où les prêtres étaient très nombreux et où les curés étaient tout-puissants »,
faisait remarquer Mgr Albert Rouet, archevêque de Poitiers, la semaine passée, lors de l’Assemblée des évêques à Lourdes.
Des sacrements moins fréquentés
En dix ans, le nombre de baptêmes d’enfants a baissé de près de 14 % en Europe et en Amérique du Nord. Une telle diminution affecte tous les sacrements : elle est de 10 % pour les premières communions et de 8,75 % pour la confirmation. C’est surtout la baisse (de 21,5 %) du nombre de mariages religieux qui souligne qu’une part de plus en plus importante de la population s’éloigne de l’Église, quand bien même le baptême de leurs enfants demeurerait important pour eux.

 


Tassement des ordinations

Si le nombre d’ordinations presbytérales continue à augmenter en Asie et en Amérique latine, cette hausse semble commencer à se tasser. Seule l’Afrique continue à un rythme soutenu. Dans les pays occidentaux, la tendance est clairement à la baisse, même en Pologne, où leur nombre demeure toutefois très important. Aux États-Unis, en France ou en Espagne, la baisse semble enrayée et ces pays paraissent avoir atteint un étiage.
 

 

REPÈRES

Les religions dans le monde
> On recense environ 2 milliards de chrétiens dans le monde, dont un peu plus de la moitié de catholiques  (lire ci-dessous) .
> Les protestants seraient environ 650 millions (dont une grosse moitié d’évangéliques et de pentecôtistes).
> Les anglicans seraient environ 80 millions.
> Les orthodoxes seraient 250 millions.
> Dans les autres religions, on compte environ 1,2 milliard de musulmans, 850 millions d’hindous, 360 millions de bouddhistes, 23 millions de sikhs, 15 millions de juifs, 6,5 millions de confucianistes, 6 millions de shintoïstes, 4,5 millions de jaïnistes, 3 millions de taoïstes, 2,6 millions de zoroastriens… Les animistes seraient 250 millions dans le monde.
> Environ 900 millions de personnes dans le monde seraient athées ou sans religion.

Les catholiques dans le monde
> L’Église catholique recense 1,086 milliard de catholiques de monde. Avec 540 528 000 fidèles, les Amériques regroupent 49,8 % des catholiques du monde entier. Viennent ensuite l’Europe (280 188 000 fidèles, soit 25,8 %), l’Afrique (143 352 000, soit 13,2 %), l’Asie (112 944 000, soit 10,4 %) et l’Océanie (8 688 000, soit 0,8 %).
> Les évolutions sont cependant très différentes selon les continents :
+ 4,5 % en Afrique, + 2,2 % en Asie, + 1,3 % en Océanie, + 1,2 % en Amérique mais seulement + 0,2 % en Europe, entre 2004 et 2005.
> Les 10 pays comptant le plus de catholiques sont le Brésil
(149,3 millions), le Mexique (92,2 millions), les États-Unis (65,5 millions), les Philippines (65 millions), l’Italie (55,7 millions), la France (46,1 millions), la Colombie (38,7 millions), l’Espagne (38,4 millions), la Pologne (36,9 millions) et l’Argentine (34,2 millions). Trois pays n’en compteraient aucun : l’Afghanistan, le Bhoutan et les Maldives.

            Site du journal de la Croix                                                                 Croix du 13.11.2007