La boue rouge ( suite)
Au cœur du cyclone

Le 3 janvier 1915, au matin, le 15-2 reçut l'ordre d'enlever Steinbach et l'ouvrage en V tout en essayant d'avancer sur le plateau d'Ufflholtz. Le plan d'opération était le suivant : le bataillon Castella, dont la 3e Cie. était placée en réserve, prendrait l'ouvrage en V et le terrain situé entre celui-ci et l'église, appuyé par la batterie Bousquet ; l'attaque serait combinée sur la droite par quatre sections du 213e R.I. dont la section de mitrailleuses du lieutenant Martin. Pendant ce temps, les 11e et 12e Cies. et la section de mitrailleuses du IIIe bataillon (commandant Contet), soutenues par une batterie de 75, s'empareraient du centre du village et du cimetière ; les deux autres compagnies du IIIe bataillon déborderaient par le nord pour occuper, au-delà du ruisseau, les tranchées allemandes montant au plateau d'Ufflholtz sur lequel progresserait le 15e B.C.P chargé de parer à toute contre-attaque venant du nord. Les 7e et 8e Cies. resteraient à la disposition du commandant Jacquemot. Quatre compagnies du 213e R.I, sous les ordres du commandant Debain, partiraient à l'assaut de la cote 425 : les 17e (Lecuyer) 19e(Rochut) et 22e (Labbe) compagnies prendraient puis retourneraient la tranchée allemande tandis que la 21e Cie, d'abord en réserve, les dépasserait puis couvrirait leurs travaux d'organisation. Les 2e (de la Tour) et 3e (Didio) Cies. du 13e B.C.A. appuieraient le mouvement sur 425. Conscient de l'inefficacité des pièces de 65 à désorganiser les lignes adverses, l'Etat-major, mobilisa l'artillerie lourde de la division ; à 9 heures, la préparation d'artillerie débuta par les tirs d'une batterie de 155 L. sur 425, suivis des canons de 75 et 65 ; le marmitage devait durer plus de trois heures.

A 13 heures, les sifflets des officiers résonnèrent, déclenchant l'attaque générale ; les fantassins, précédés de sapeurs équipés de cisailles, se mirent à courir, autant pour chasser l'ennemi que leur propre peur. Des maisons que l'on croyait vides se révélèrent occupées ; les sapeurs de la 1° Cie., pris en enfilade, furent décimés ; à 13h30, deux batteries de 75 bombardèrent  l'Institut Saint-André pour appuyer l'attaque de diversion du groupe cycliste de la 10e D.C. La 2e Cie. du 15-2 avança camouflée par une haie et s'empara d'une tranchée ; la 1er Cie, contrainte de se faufiler par un chemin creux, se fraya un passage entre les barbelés et déboucha sur un poste d'une douzaine d'hommes de l'I.R.161 qui se rendit. Les occupants de l'ouvrage en V, menacés d'enveloppement, se replièrent vers le centre du village, poursuivis par une section qui arriva jusqu'à l'église, devant laquelle le sergent Fallouey fut tué à bout portant. Des deux côtés, les artilleurs évitaient le cœur du village où la situation était incertaine ; une batterie de 65 fut avancée vers le village ; les tirs de barrage des canons de 75 empêchaient l'arrivée des renforts allemands depuis les lisières ouest de Cernay ; des éléments des 1er , 2e et 4e Cies ayant opéré une liaison, les officiers décidèrent de poursuivre l'élan pour déborder tout le village par le sud ; le lieutenant Eugène Bauer fut mortellement atteint en arrivant à la dernière maison, à l'extrémité sud-est de Steinbach ; les 1er et 2e Cies., rassemblées sous le commandant des lieutenants Jenoudet et Boucher, réussirent la manœuvre et les Allemands battirent en retraite.

De leur côté, les compagnies du 213e R.I, traversant les abattis et les réseaux de barbelés, s'étaient emparées de 425, faisant une soixantaine de prisonniers. Apprenant la nouvelle, le commandant Castella donna l'ordre de conquérir l'est du village et demanda à la 12e Cie. (capitaine Toussaint) de fouiller le centre du village et de progresser par la rue principale pour entrer en liaison avec la 3e Cie. (capitaine Bejanin) ; cette dernière, jusqu'alors en réserve, avait traversé le village d'ouest en est et pris position, vers 20hl5, le long des murs de l'usine et des jardins Rollin ; la 12e Cie. exécuta son mouvement avec peine, ce qui permit à plusieurs groupes d'Allemands de se replier sans dommages par les tranchées montant sur le plateau d'Uffholtz ; les 2e et 4e Cies. redressèrent leur front face à Cernay, entre Steinbach et les pentes nord de 425 ; la section de droite de la 12e Cie. fut sévèrement accrochée autour du cimetière. Sur ordre direct du commandant du 152e R.I, le capitaine Toussaint déborda ce nœud de résistance avec le renfort d'une section et demie et opéra une jonction vers l'église avec la 1er Cie.. Mais, ce ne fut que vers 22 heures, sur la demande, puis l'ordre formel du commandant Castella, que la liaison avec la 3e Cie. fut établie ; sur la gauche, la 11e Cie. avait suivi le mouvement. Vers minuit, la lisière nord-est de Steinbach était aux mains des pantalons rouges.

Les rues de Steinbach étaient jonchées de cadavres de soldats, d'animaux et de quelques civils, de débris et de matériel ; les blessés, agonisants, étaient soignés à la hâte dans l'attente d'une évacuation ; les rescapés de cette tourmente, harassés, éclairés par les incendies, fouillaient les décombres à la recherche de quelques victuailles: volailles, miel, eau-de-vie...; le village, balafre et hurlant, semblait sortir d'un tableau cauchemardesque de Jérôme Bosch.

Les Allemands ne pouvaient en rester là ! Ils avaient été ébranlés, mais disposaient toujours de moyens considérables et rapidement mobilisables. Dès 21 heures, les sifflements des 105 et 150 avaient commencé à résonner ; les batteries, installées de Berrwiller à la forêt du Nonenbruch d'où un Drachen faisait quelques apparitions furtives, préparaient une contre-attaque massive. Vers 1 heur du matin, l'I.R 25 et quatre compagnies du I.R. 161 ( les 5,8,9 et 11) s'élancèrent;  les fifres et tambours résonnaient dans la nuit et la vague feldgrau déferla sur la cote 425, attaquée de front et sur les flancs ; les fractions de protection, en avant des soldats qui travaillaient à fortifier la ligne, reculèrent en tirant; les défenseurs, submergés, pris dans la mêlée, se replièrent sur les tranchées de départ ; un peloton de la 19e Cie. du 213e R.I. sous les ordres du lieutenant Rochut résista en vain avant de reculer pour éviter l'encerclement.

A la lisière est de Steinbach, l'attaque fut endiguée par la 3e Cie., mais un groupe descendu par le plateau d'UffhoItz perça les lignes et une  vingtaine d'hommes, emmenés par le Leutnant Moskopp (8/I.R. 25) atteignirent l'église si bien que, l'obscurité aidant, la situation à l'intérieur du village devint aussi critique que confuse ; des agents de liaison du 15-2 furent capturés et enfermés dans l'église ; les adversaires, vociférant, tiraient à bout portant. Par manque de fusées éclairantes, les Français estimèrent le nombre des assaillants à environ soixante-dix. L'Etat-major songea un moment à faire évacuer le village puis décida d'engager la 8 Cie du 15-2 (capitaine de Roffignac), placée en réserve. Arrêtés un instant, les fantassins nettoyèrent le secteur de l'église et firent une quarantaine de prisonniers, dont deux officiers réfugiés dans l'église. Vers 3 heures, l'ouvrage en V et le village étaient reconquis. Côté allemand, après le repli, un bon nombre de combattants manquait à l'appel dont les Leutnants Bappert et Kamp, commandants des 9e et 11e compagnies.

Au nord, dans le ravin d'UffhoItz, les 9e et 10e Cies. du IIIe bataillon du 15-2 avaient été clouées dans leurs tranchées de départ par le feu de mitrailleuses sous boucliers et par un bombardement de gros calibres ; les tirs de crapouillots, durant un quart d'heure, n'avaient pas empêché les renforts allemands d'accéder aux tranchées de tirs. Vers 4 heures passées, le commandant Contet, depuis l'observatoire du Schletzenburg, demanda le raccordement des tranchées du ravin à celles du village ; De Liocourt, monté convaincre Contet de stopper l'attaque, décrivit le brasier : "Spéctacle complet de la bataille en ce point sous un marmitage intense. Vue sur Steinbach à moitié démoli et en feu : cris de nos assauts, lueurs rutilantes des villages qui brûlent à perte de vue dans la plaine. Derrière nous des tombes préparées avec croix et couronnes de feuillages ; les blessés qui passent sur des civières et les morts que l'on aligne, de très jeunes prisonniers qui montent. (...) Dans le village qui flambe, fusillades et cris toute la nuit - France-Kamarade ".

Le 4 janvier, au matin, sous une pluie d'obus de 150, les hommes encore valides fouillèrent minutieusement les ruines, débusquant des Allemands pris au piège ; dans les caves transformées en abris ; armes, munitions et effets personnels étaient quelques fois restés en place. Le village englouti gémissait : craquements, plaintes, grondements sourds; des charpentes brûlées, des pans de mur calcinés s'effondraient ; le feu serpentait au milieu des débris, des corps, des carcasses d'animaux qui se consumaient ; l'odeur était pestilentielle ; partout, des fumerolles montaient vers le ciel. Un chien errait parmi les cadavres tel un charognard ; un bœuf encore vivant demeurait immobile, perdu. Certains soldats étaient assis, hagards, submergés par cette vision d'apocalypse, ce carnage auquel ils avaient pris part ; curieusement, le clapotis de la fontaine demeurait immuable, comme si le temps passé cherchait à se prolonger, imperceptiblement.

Maurice Ravel rassura son père :"Grâce à Dieu je suis encore sain et sauf, en dépit des balles et des obus ! Steinbach est virtuellement pris ; mais pour ce résultat il a fallu détruire le village, maison par maison, à coup d'obus. Un certain nombre de maisons sont encore occupées par les Allemands qui s'y barricadent et s'y défendent avec une énergie désespérée. Beaucoup se sont rendus car ils étaient las de se battre et abrutis par le bombardement. Les rues et les abords du village sont semés de cadavres. C'est horrible à voir. Les corps resteront longtemps ainsi sans sépulture. Les compagnies qui occupent la partie conquise campent parmi les ruines et au milieu des cadavres en décomposition ". Mais la lisière nord du village demeurait sous le feu de la tranchée avancée du plateau d'UffhoItz. La 7e Cie. fût chargée, en partant de l'usine Rollin, de grimper à travers les vignes pour occuper l'extrémité gauche de cette tranchée et la prendre à revers ; préparée par une batterie de 65 et soutenue par la section de mitrailleuses du IIIe bataillon, l'attaque surprit les Allemands ; sur le plateau, des fractions des 9, 10 et 11e Cies. profitèrent du mouvement pour prendre pied dans la tranchée et s'y maintenir, faisant des prisonniers, récupérant du matériel, des munitions et une mitrailleuse. Le capitaine de Liocourt fut au cœur de l'action : "J'entraîne la 7e"' section avec deux sections de la 9e compagnie. On prend toute la tranchée boche. M... est tué et la deuxième section presque entièrement détruite. Elle gît par-ci par-là dans les échalas. Je reforme les unités et répartis le commandement. Les boches tirent tout le temps pour nous empêcher de renverser la tranchée. J'entre dans leurs abris. Une bougie brûle encore ; cela sent encore leur odeur et celle de leur tabac. Des armes, des casques, partout. Nous sommes surpris de voir comme c'est bien installé. C'est recouvert de tôles ondulées très fortes. J'essaie de faire mettre du fil de fer, mais impossible cela tire de trop. La pluie arrive ; comme le principal est fait j'en laisse quelques-uns se mettre à l'abri. Tout à coup les hommes en faction lancent le cri de « Aux armes ». On court au parapet, quand les premiers sont à dix mètres. Je dirige là-dessus un feu d'enfer, par salves. L'attaque tourbillonne et s'effondre. Pour nous c'est gagné, mais on tire encore sur ce que l'on voit remuer et assez longtemps encore, car les arbres semblent être des hommes".

Au sud, les canons de 155 L. tirèrent sur la cote 425, mais l'organisation défensive de Steinbach, sous le pilonnage intensif de l'artillerie allemande (des obus 77, 105, 130, 150 et 210) accaparait les troupes disponibles pour une éventuelle contre-attaque. Ainsi, l'I.R.25 en profita pour s'y établir solidement, ce qui obligea les nouveaux occupants du village à retourner certaines tranchées vers le sud. Les gouttes de pluie rayaient un paysage de désolation. Le chassé croisé des brancardiers était constant ; le G.B.D.66 effectua 235 évacuations ce jour là ; dans les hôpitaux de Thann et de Moosch, engorgés, les lits manquaient et les chirurgiens opéraient sans arrêts ; les blessés légers retournaient au front ; ceux qui pouvaient être transportés rejoignaient l'hôpital d'origine des étapes (H.O.E.) de Bussang, embarqués par la section sanitaire automobile N°17 ; pour certains, un nouveau combat commençait ; pour beaucoup d'autres, les cas désespérés, la mort n'étaient que retardée.

L'Etat-major de l'Armee-Abteilung Gaede réagit rapidement en remplaçant la Brigade V Strantz par la Brigade Dallmer. Les Français avaient pris Steinbach, mais ils se retrouvaient bloqués, coincés dans un vallon encaissé et difficile à ravitailler ; les positions défensives allemandes autour de Cernay demeuraient solides et une offensive sur la droite, par les hauts, là où la 66e D.I. ne disposait que de postes épars, ne manquerait de rendre sa situation intenable ; une première tentative eut lieu le 4 janvier : à 7 heures, la 8e Cie. du L.I.R.123 (Leutnant Wagner) et 50 hommes du IIe bataillon de Landsturm de Heidelberg encerclèrent le sommet de l'Hartmannswillerkopf, tenue par une demi-section du 28e B.C.A.et dont l'imposante silhouette coupait l'horizon ; l'occupation des massifs au nord de Cernay devenait essentielle aux yeux des officiers du quartier général, en particulier pour le nouveau chef d'état-major, Bronsart von Schellendorf qui, arrivé le 5, décida de poursuivre les opérations sur l'Hartmann et le Sudel. L'Etat-major français, moins prompt, ne se rendit compte qu'à posteriori de l'intérêt d'un mouvement par le nord et le nord-ouest permettant de profiter de l'absence de front continu pour se rabattre ensuite par le sud-est dans la plaine. L'engrenage qui allait faire du promontoire rocheux de l'Hartmannswillerkopf un champ de bataille légendaire était en marche ; les Allemands avaient tiré les premiers.

Le 5 janvier, la 151e brigade (297e, 357e et 359e R.I.) du colonel Adolphe de Susbielle, détachée de la 71e D.I. à la 66e D.I., vint épauler une 115e brigade très affaiblie. La terre continuait à trembler et un déluge d'acier s'abattait sur le petit village et ses alentours, pris dans une atmosphère d'apocalypse. "Dès qu'il fait jour, commence sur nous un bombardement effrayant. Il y a de tous les calibres, mais surtout du gros. Notre artillerie répond, et toute la journée, cela n 'arrête pas. Les grosses casseroles passent dans les deux sens et éclatent. Il pleut, nous sommes envahis par l'eau par en dessous et peu à peu, par le contact avec les parapets, nous nous couvrons d'une carapace de boue grasse jusqu'à la tête. L'artillerie redouble spécialement vers 12 heures. À un moment, il y en a un qui crie : "c 'est comme au Spitzemberg". Je le fais taire, car ce cri résonne comme un glas. Des obus éclatent devant, derrière, à droite, à gauche, partout. J'entends un blessé qui pleure comme un petit chat à 2 mètres de moi ; je lui demande ce qu'il a ; on me dit qu'il a une balle dans la tête. C'est vers Cernay que sont les obusiers qui nous tirent dessus. On entend très nettement le départ des coups, et on suit leur arrivée. On m'annonce que le capitaine Jacquot vient d'être renversé par une marmite. On a l'impression que personne n 'en sortira. Il y en a un qui dit que cela doit être la fin du monde. Au milieu de tout cela, les guetteurs surveillent, stoïques. Cela continue ainsi toute l'après-midi, sans interruption. Tout le village de Steinbach flambe et les obus de 305 y tombent constamment. Tous les prisonniers sont unanimes à dire qu'ils ont de l'artillerie autrichienne (probablement des obusiers Skoda de 305, Mle 1911). Quand le soir arrive nous sommes hébétés. Nous sommes dans la boue jusqu'aux genoux. Nous sommes trempés et naturellement nous n 'avons rien mangé. D'ailleurs, nous n 'avons pas le cœur à manger" (capitaine de Liocourt). Le sergent Jules Gavand du 359e R.I, participait au ravitaillement difficile et périlleux des avant-postes ; il fut subjugué par le brasier des combats : "À la nuit tombante, je partais de Thann avec le courrier, étant vaguemestre, les ordres et pièces à signer, étant fourrier, et je m 'acheminais avec quatre mulets porteurs de ravitaillement et de boisson chaude, vers la cote 425 où était ma compagnie. Le chemin pour y aller, surtout pendant la nuit, était épouvantable, rempli de cailloux et de boue liquide. Les mulets avaient le pied sûr, et le mieux était d'en tenir un par la queue, ce qui facilitait la marche. Un soir qu'il faisait nuit noire, en redescendant de la cote 425 et une fois sur la grande route, j'avais derrière moi Cernay qui brûlait, incendie immense. Les projecteurs boches fonctionnaient dans toutes les directions. Entre moi et Cernay, l'église de Vieux-Thann, avec un bout de toiture sans tuiles, le reste étant écroulé, se profilait dans les flammes de Cernay brûlant. Avec cela un crépitement incroyable de coups de fusil dans le lointain, des coups de canons français aux abords de ma route, je ne les voyais point, mais les entendais. Plusieurs civières me croisent, portant des blessés ; et la pluie tombe, une pluie torrentielle. Je ne pensais plus à la guerre ; il me semblait que j'étais à l'Opéra, avec des décors magnifiques représentant un coin de l'enfer. Je me suis arrêté et j'ai joui pendant quelques minutes de ce spectacle qui finit par m'effrayer parce qu'il était trop réel ".

 Dans le cimetière de Steinbach, devenu bien exigu, et sur les pentes du Silberthal, les tombes s'étaient multipliées ; le 15-2 avait perdu plus de 700 hommes, morts, blessés, disparus ou prisonniers ; le 213e R.I. laissait 420 hommes sur le terrain dont le lieutenant-colonel Frantz, éphémère gouverneur de Thann. Au 161e Infanterie Régiment, 660 hommes étaient hors de combat. Après son séjour alsacien, les effectifs du régiment von Lützow tombèrent à près de 600 hommes (au 26 mars 1915). Les survivants, accablés par les intempéries et les alertes, mirent leurs dernières forces à l'organisation des positions. L'enfer de Steinbach, les combats de rue, la pluie et les flammes, la boue de 425, rouge, poisseuse, allaient rester gravés à jamais dans leurs mémoires.

La prise de Steinbach défraya la chronique ; la presse française et les communiqués officiels firent de ce fait d'armes un symbole du retour de l'Alsace à la mère patrie. Mais, cette conquête destructrice et coûteuse en vies ne fit reculer les Allemands que de quelques centaines de mètres. Bref, une victoire à la Pyrrhus !

Dans la nuit du 6 au 7 janvier, un tentative sur le village, un coup de sonde, laissa 60 cadavres devant les tranchées françaises. Le jour venu, la 151e Brigade lança une attaque en tenaille. A droite, le 359e R.I. tenta de s'emparer de Sandozwiller, mais le feu nourri des soldats allemands, retranchés dans l'usine textile et sa cité ouvrière, maintint le régiment dans ses lignes ; plus d'une vingtaine d'hommes furent fauchés en sortant des tranchées. A gauche, le 297e R.I., avec deux compagnies en pointe, s'élança à l'assaut des tranchées de 425. Le régiment fut décimé par les mitrailleuses et les tirs croisés de l'artillerie lourde allemande en position à Wattwiller et Cernay. Deux compagnies du 13e B.C.A., en réserve, tentèrent sans succès de colmater les brèches. Le 297e R.I. perdit 436 hommes dans l'opération dont son chef de corps, le lieutenant-colonel Bonnelet. Parmi les disparus, se trouvait le caporal Louis Demeure-Lattaz qui, le 27 décembre 1914, avait adressé à sa femme enceinte une lettre d'espérance, la dernière : "Ma chère Rose, (...) Jusqu'à présent, nous avons toujours couché à l'abri. Nous avons trouvé des pays de l'Alsace, qui ont été repris par nous et où l'on est bien reçu. Mais c'est difficile de se faire comprendre, car il y a très peu de gens qui connaissent le français. Les villages que nous avons vus sont très propres ; c'est dommage que l'on entende le canon toute la journée et même la nuit. On ne sait pas ce que nous réserve l'avenir; espérons que cela ne sera pas trop dur et que nous aurons le bonheur de nous revoir tous un beau jour. La nuit, quand je pourrais dormir, je suis à chaque instant réveillé par des cauchemars terribles. Je vous revois souvent dans mes rêves et il me semble que je tiens tous les trésors de la terre, mais au réveil, quelle désillusion. J'espère que vous avez bien passé les fêtes de Noël. Nous avons eu le plaisir d'aller à la messe le jour de Noël. Nous n 'avons pas pu, à mon grand regret et de beaucoup de mes camarades, assister à la messe de minuit. Il était interdit de sortir des cantonnements. Le jour, la messe a été dite par l'aumônier militaire du régiment. L'église, quoique bien grande, était remplie de soldats. J'espère que ma lettre vous trouvera en très bonne santé. Je renouvelle tous mes vœux de bonheur que je puisse vous souhaiter, de bon courage et d'espoir et aussi ma chère Rose, une heureuse délivrance. Je vous embrasse dans un baiser plein d'espoir et d'amour". Les artilleurs allemands marmitèrent tout le secteur jusqu'à Thann où l'hôpital, touché de plein fouet, fut transféré sur Bitschwiller.

Sur la cote 425, le no man's land était jonché de cadavres, englués dans une boue rouge et enterrés par les bombardements ; les corps du 297e recouvraient ceux du 213e. Les assauts frénétiques et meurtriers n'avaient fait que rapprocher les premières lignes et jusqu'au printemps, des cadavres gelés restèrent alignés devant les parapets.

Un rapport du service de santé précisa les pertes,à l'exception des disparus et prisonniers. Ainsi, pour la période du 25 décembre 1914 au 10 janvier 1915 on compta :168 tués et 287 blessés pour les 152e R.I. ; 105 et 208 pour le 213e R.I. ; 73 et 202 pour le 359e R.I. ; 32 et 59 pour le 13e B.C.A. ; 20 et 62 pour le 15e B.C.P. ; 8 et 20 pour le 28e B.C.A. ; 5 et 32 pour le 68e B.C.A. ; 4 et 6 pour le 56e R.A.. Plusieurs raisons expliquaient l'importance des pertes, eu égard à l'étroitesse du front : les vignes et les prés entourant le village n'offraient que peu de protection aux combattants ; ainsi, sortant des forêts, à découverts, les fantassins avaient subi simultanément les tirs de mitrailleuses partant du village et le flanquement depuis le plateau d'Uffholtz et la cote 425. La décision tardive de l'attaque du 25, avait donné aux Allemands du temps pour renforcer leurs défenses. En outre, l'artillerie française avait montré ses limites ; des canons de montagne de 65 avaient pu être rapprochés de la zone des combats, mais les batteries de campagne, installées vers Thann et Leimbach, trop lointaines, ne pouvaient rivaliser avec l'artillerie lourde allemande, proche des lignes, aisément déployable dans la plaine et battant l'ensemble du front. Les difficultés à acheminer hommes et matériel, l'acharnement de l'état-major, le prestige et les défaites passées, les ordres péremptoires et les conditions climatiques furent autant d'éléments qui contribuèrent à l'hécatombe.

L'échec du 7 janvier 1915, l'épuisement physique et moral des troupes, amenèrent le général Guerrier, le 9 janvier, à suspendre les opérations dans le secteur Steinbach-425. La bataille de Steinbach, engagée le 13 décembre, marquait de par sa durée un basculement : celui d'une guerre de mouvement à l'enlisement d'une guerre de position, celui des batailles courtes, de quelques heures, quelques jours, aux batailles longues, interminables, alternant phases de combats et d'organisation sur plusieurs mois.

Au 152°R.I., les effectifs furent progressivement reconstitués ; un détachement de renfort de 250 hommes arriva le 11 janvier, un autre de 300 hommes deux jours après, puis finalement 72 soldats le 22. Les lignes étaient organisées en trois secteurs, chacun confié à un bataillon avec deux compagnies en première ligne, une compagnie en réserve de bataillon et une compagnie au Schletzenburg en réserve générale. Les premières lignes étaient relevées tous les deux jours, puis sous quatre jours.

Le secteur sud était situé entre 425 et le village, jusqu'à l'église. Le secteur centre comprenait le village et un bout de la tranchée allemande conquise, accessible par un boyau aménagé à travers les vignes, jusqu'au premier chemin de terre qui la traversait. Enfin, le secteur nord allait de ce chemin au ravin d'UffhoItz, tenu par une section du 15e B.C.P. Les travaux de fortification se poursuivaient entre les bombardements. Les objets précieux restés dans l'église furent ramassés et envoyés à Willer. Le 16 janvier, en trois heures, 250 obus de gros calibre tombèrent sur Steinbach. Le 297e R.I. prit position face à la cote 425 ce qui permit au 15-2 de réduire son déploiement et d'envoyer davantage de troupes au repos, à Bitschwiller et au Thomannsplatz. Par ordre général n°4 du 25 janvier 1915 (J.O.R.F. du 24 février 1915), le 152e R.I. fut cité à l'ordre de l'Armée, en ces termes : "(...) a, sous les ordres du chef de bataillon Jacquemot fait preuve d'une vaillance et d'une endurance au-dessus de tout éloge en conquérant un village, après huit jours de lutte héroïque, de jour comme de nuit, s'emparant une par une des maisons fortifiées, répétant les assauts au milieu des incendies, se maintenant sous un feu des plus violents dans les tranchées remplies d'eau gelée, infligeant à l'ennemi de lourdes pertes et lui en enlevant une mitrailleuse et de nombreux prisonniers ". Quelques jours plus tard Jacquemot fut promu lieutenant-colonel.

Le 5e B.C.R, en position au Südel, retrouva le secteur de Steinbach. Robert Pelissier avait suivi la bataille décisive depuis le col : "Alors que nous étions là-haut, Steinbach fut reprise, comme vous avez dû le lire dans les journaux. Il fallut la prendre maison par maison ; et dire que nous l'avions tenue quelques semaines plus tôt sans pertes sérieuses !

Le 14 janvier, nous descendîmes de notre col pour aller au repos et nous laver et le 18 janvier, nous reçûmes l'ordre d'occuper les nouvelles tranchées creusées face à Steinbach reconquise. Nous gravîmes donc la montagne pour la dévaler sur le versant opposé, parcourant ainsi un territoire qui ne nous était que trop familier. Une fois encore, ce fut le bon filon. Il faisait froid et nous ne pouvions allumer aucun feu de peur d'être repérés par l'artillerie. Nos cuistots durent installer leurs cuisines à plus d'un mile en retrait de la deuxième ligne, et même là, ils furent bombardés. Deux d'entre eux furent tués alors qu'ils tentaient de nous apporter notre dîner. Je ne restai là que neuf jours, puisque je fus blessé comme je vous l'ai dit plus haut, mais mes malheureux compagnons y restèrent trois semaines, et furent bombardés presque quotidiennement. Ils repoussèrent trois attaques, perdirent leurs mitrailleuses par deux fois, et les reprirent lors de contre-attaques de nuit, ramenant à chaque fois un nombre respectable de prisonniers. L'un dans l'autre, c'est surtout du froid que nous eûmes à souffrir. Des centaines de nos hommes durent être évacués pour cause d'orteils gelés, de pieds gelés ou de bronchite. Blessé, Pelissier fut évacué sur un hôpital militaire où il resta jusqu'au mois de mai. Entre le 15 et le 17 mars, le 357e R.I. releva le 152e R.I, engagé depuis bientôt trois mois dans "l'enfer de Steinbach". Le projecteur se déplaçait, mais la cote 425, tout comme le plateau d'Uffholtz, restaient des secteurs sensibles soumis aux fusillades, aux engins de tranchées, aux coups de main, aux accrochages entre patrouilles et sentinelles. Les futurs combattants de l'Hartmann y trouvèrent une initiation ou un répit relatif.

Le 16 avril 1915, le 334e R.I., et le bataillon Dreyfus du 57e R.I.T. succédèrent pour cinq mois au 357e. A droite, le bataillon Dreyfus couvrait Steinbach, des pentes nord de la cote 425 au chemin Schletzenburg-UffhoItz. Au centre, le VIe bataillon (Moréteaux) du 334e tenait la croupe de la chapelle Saint-Antoine jusqu'au Molkenrainweg. À gauche, le bataillon Belhumeur gardait le saillant du plateau d'UffhoItz. Les tranchées de la cote 425 étaient occupées par le 229e R.I.. Le 10 mai, le bataillon Moréteaux prit position à gauche du bataillon Belhumeur jusqu'à la rive droite du Sihl, adossé à la garnison de l'Hartmann alors constituée par le 7e B.C.A., les 152e et 244e R.I. Du Molkenrainweg au Sihl, le secteur prit le nom de Colardelle. À droite, le secteur Simon s'étendait de Steinbach à la route d'Aspach et comprenait trois sous-secteurs : l'Alsacienne (de Steinbach à la cote 425), Bonnelet (de 425 à la Thûr) et Sairon (de la Thùr à la route d'Aspach). Le 26 mai, le 64e B.C.A. vint occuper le sous-secteur de l'Alsacienne où il demeura jusqu'en juillet 1916.

Dans les sous-bois, les bivouacs s'étaient transformés en camps : Chanove, Belgique, Les cuistots, Pervenche, Alsacienne entre Vieux-Thann et Steinbach ; Morvan sur les pentes de l'AmseIkopf, Roucy dans une carrière du Silberthal. Les "grottes" du vallon, notamment celles du Donnerloch, constituaient des abris sûrs lors des bombardements ; le carreau de la mine Kaiserstolhe fut aménagé et jusqu'au fin fond de l'Ertzenbach, la foret était habitée ; barbelés, blockhaus, abris-cavernes, tranchées profondes, boyaux onduleux se multipliaient, lacérant le sol ; le mobilier et les objets ramassés dans les ruines de Steinbach ou récupérés dans les villages agrémentaient la vie souterraine. Certaines positions firent l'objet de soins particuliers, tel le "Reposoire", édifié par le 229e R.I. à 425 ou l'un des blockhaus de la première ligne du plateau d'UffhoItz, construit par le 334e R.I. et cité en exemple par le commandement du génie de la VIIe Armée.
Avec l'arrivée des beaux jours, au printemps 1915, les abatis et branchages du no man s land prirent feu, d'abord par accident puis par le tir de fusées incendiaires. Sur le plateau d'Uffholtz, les silhouettes noires des arbres calcinés ressemblaient à une armée de spectres. Aux assauts massifs succédait une guerre de harcèlement.

Le 16 juin 1915, un coup de main fut tenté contre les organisations allemandes dites du "saillant de 425" par des éléments du 152e R.I., du 64e B.C.A et de l'escadron divisionnaire, placés sous les ordres du capitaine Billy du 15-2 ; la préparation d'artillerie déclencha une violente réplique. Les soldats pénétrèrent dans quelques lignes inoccupées avant de rejoindre leurs tranchées de départ, bouleversées par le bombardement.

Dans le secteur Colardelle, le 334e fut relayé à la mi-septembre par le 213e et engagé à l'Hartmann. Durement éprouvé, le régiment redescendit des hauteurs début novembre 1915 pour relever le 229e R.I. dans le secteur Simon. Les troupes alternaient l'occupation du H.W.K. et de ses satellites : la cote 425, l'Hartfelsen, le Sûdel ; ces rotations devaient préserver l'initiative et le mouvement, tout en capitalisant l'indispensable connaissance des lignes, des positions et des pièges de chaque secteur. Dans la nuit du 30 au 31 octobre, le Ve bataillon du 334e R.I remplaça le bataillon Sutter du 229e R.I. dans le sous-secteur de l'Alsacienne ; la 17e Cie s'établit à 425, la 18e sur les pentes nord de la croupe et la 19e devant Steinbach ; en réserves, la 20e Cie. prit position dans le village, à Pervenche et à la Chapelle tandis qu'un peloton de la 4e Cie du 57e R.I.T s'installa dans les abris sous roche du Hirnelestein. Dans la nuit du 10 au 11 novembre le VIe bataillon prit la place du bataillon Derriey dans le sous-secteur Bonnelet. Chaque compagnie passait six jours en ligne et six jours en réserve ; les 21e et 23e alternaient à Vieux-Thann et aux pentes sud de la cote 425 ; les 22e et 24e se succédaient à Vieux-Moulin et entre la route de Cernay à la Thùr. Le sous-secteur Sairon était tenu par le IIIe bataillon du 57e R.I.T. (Leleux).

Sur la cote 425, la fonte des neiges, les orages d'été et les pluies d'automne, transformaient les tranchées en torrents de boue. Plusieurs fois, soldats français et allemands durent sortir sur les parapets avant de retourner dans leur bourbier ; l'adjudant Paul Guyot du 334e R.I. décrivit les tourments que la nature infligeait aux combattants de 425 : "La vie de misère que la boue de 425 et l'eau de la Thur firent au régiment, je renonce à le dire. Ah ! elles ont perdus leur mine hospitalière, les confortables, les coquettes tranchées du 229e. Les compagnies qui ne sont pas dans l'eau sont dans la boue. La pluie dissout l'argile ; filtré par le clayonnage, le parapet coule au fond du boyau. Les parois s'évasent et s 'affaissent en lis gluants où l'on glisse, où l'on s'enlise. Jour et nuit, on vide les boyaux, on relève les effondrements : hélas ! sitôt rejetée au bord du fossé, la boue liquide retombe au fond, tant qu'on a pas trouvé dans le commerce assez de seaux et d'écopes pour la transvaser au loin, dans le bled. Les abris se changent en puits, et sans égard pour les tentures de mousseline, leurs parois s'éboulent. Que devenir ? ". Cette boue glaiseuse qui tannait les peaux, ruisselait dans les moindres recoins, enrayait les fusils, les gardiens de 425 l'écumèrent tels des naufragés, inlassablement, avec l'énergie de la survie.

De la mi-décembre 1915 à la mi-janvier 1916, le secteur fut touché par la tempête qui couvrait l'Hartmann ; les artilleurs allemands pilonnèrent les lignes arrière, mais l'attaque d'infanterie, attendue, n'arriva pas. Le 140e R.I. s'installa, découvrant ce bout d'Alsace qui, un an auparavant, avait fait la une des communiqués. Les semaines et les mois s'égrainèrent, rythmés par les tours de garde, les patrouilles, les ordres du jour, les ravitaillements et les travaux de consolidation. Steinbach, casemate et entouré de chiens d'alerte, était plutôt calme. Sur le plateau d'Uffholtz, au matin et au soir tombant, les mitrailleurs allemands tiraient quelques rafales, comme s'ils voulaient signaler leur présence. Les unités, essentiellement territoriales, se succédèrent : le 3e B.T.C.A (commandant Léonce de Seynes) s'établit dans le secteur à partir de la fin de l'été 1916 ; le 6e B.T.C.A., commandé par Georges Desvallières "- le peintre qui renouvela l'art religieux français après guerre, fit un court séjour dans les tranchées de 425 ; sans oublier les 2e et 7e B.T.C.A., le 84e R.I.T, au printemps 1918, le 109e R.I. et bien d'autres. Les nouveaux arrivants étaient initiés aux singularités du secteur par le commandant Repiton-Préneuf, major de tranchées, qui arpentait inlassablement les lignes ; sa silhouette familière finit par se mêler au paysage.

En octobre 1916 et février 1917 les groupes francs du 245e R.I., commandés par les sous-lieutenants Maillard et Préjean entreprirent des coups de main contre le saillant 425, préparés par des mortiers de 58, les fameux crapouillots ; Albert Préjean, le futur acteur révélé par René Clair, nota dans son journal à propos de ces têtes brûlés dont il était : "C'était des petites équipes de gars gonflés qui s'en allaient faire des coups de main dans les lignes ennemies. Aussi gonflé que l'on ait, les nerfs qui craquent et les cheveux qui se dressent sur la tête, ça existe croyez-moi ! Je préférais risquer ma peau à chaque coup de main que de moisir dans la tranchée. Et puis, dans les corps francs, là au moins on avait l'avantage d'avoir quelques jours de perm ' quand nous avions réussi. Naturellement, entre toutes ces permissions, je trouvais le temps de me faire blesser une première fois, puis une seconde. Les balles entraient dans la peau et choisissaient toujours le gras des chairs. Je devais être béni des dieux de la guerre : superstition, je ne sais pas ".

Après l'armistice, fin novembre 1918, les habitants rescapés retrouvèrent leur village, méconnaissable. Ils s'installèrent dans des baraques en bois fournis par l'Etat. Les enfants retournèrent à l'école et une petite église provisoire fut installée dans le jardin de l'instituteur. Dans les décombres, on retrouva la cloche, presque intacte, qui servait à sonner le glas des trépassés. Installée sur des tréteaux, elle rythma à nouveau la vie du village. La vie, bien que précaire, reprenait le dessus et la reconstruction des maisons se poursuivit jusqu'en 1924, année où s'acheva l'édification d'une nouvelle mairie-école, sur les fondations mêmes de l'ancienne. De 900 habitants en 1914, Steinbach n'en comptait plus que 360 en 1921. La cote 425 fût abandonnée au maquis et aux herbes sauvages.

"Peu de terres furent replantées en vignes ; la plus grande partie resta en friche, abritant en son sein des casemates, des abris, du fil de fer barbelé, des obus et aussi des cadavres. Sur cette terre de maléfice, vouée à l'improductivité, une végétation spontanée renaissait, s'étalait, envahissant tout le terroir. C'était des haies épineuses, de l'acacia, du cerisier sauvage... Le beau vignoble égayé jadis par le chant des vigneronnes, devint une belle chasse au lapin de garenne et au faisan..." (Frédéric Preiss). La cote 425, die Höhe 425, le champ de bataille le plus méridional du massif vosgien, redevenait une colline discrète. La boue rouge, le voile de la nature et du temps, recouvraient les cadavres. Les combattants rescapés avaient emporté avec eux le souvenir de 425 et de Steinbach en flamme.

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Je tiens à faire part de mes dettes de reconnaissance à ceux qui par leurs conseils, leurs savoirs et leurs documents ont permis et encouragé la rédaction de cet article : Jacques et Juliette Schreck, Christine Agnel, André Bohly, Joshua Brown, Thierry Ehret, Paul Gagnière, Philippe Koch, Eric Mansuy, Louis Mockers et Léo Ott.